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Chroniques/ l'énergie électrique (au sens large) - l'énergie électrique: avançons dans une connaissance fine du secteur
Ici seront des documents d'information sérieux et fins sur l'énergie électrique, en France et dans le monde, tant au niveau de la production, de la consommation, que des réseaux électriques, . Les textes seront ajoutés un à un au fil du temps, à la manière d'une chronique qui a pour but de donner des informations à celui qui veut en acquérir, sur ces sujets où très souvent c'est le raccourci partisan ou l'info tronquée qui sont proposés et véhiculés.Cette chronique sera au départ et en partie par la suite abondée par des textes paraissant sur le site de Global Chance, le site de la finesse énergétique et pourquoi pas, mais très rarement à partir du site de RTE (un peu plus dinosaure en terme de communication sur les énergies).Chronique 1, présentée cette semaine (prévoir 10 minutes): Du gâchis à l’intelligence. Le bon usage de l’électricité
http://www.global-chance.org/Du-gachis-a-l-intelligence-Le-bon-usage-de-l-electriciteChronique 2, présentée cette semaine (prévoir plus de 30 minutes): La méthanation et la production d'hydrogène par électrolyse, vues en terme de forme de stockage de l'énergie électrique. A lire ci-dessous/ Un modèle d’approche
Découverte par le français Paul Sabatier auquel elle a valu le prix Nobel de chimie en 1912 (l’année d’après celui de Mariesystémique de la transition énergétique : la méthanation Marc Jedliczka, négaWatt Curie pour ses travaux sur le polonium et le radium), la méthanation est une réaction chimique qui permet de produire du méthane (CH4) et de l’eau (H2O) en combinant de l’hydrogène (H2) et du dioxyde de carbone (CO2) selon la formule : 4 H2 + CO2 ==> CH4 + 2 H2O H = - 165 kJ/mole Malgré les synergies que l’on peut trouver entre elles comme on le verra plus loin, elle ne doit pas être confondue avec la métha- nisation qui désigne le processus de dégradation des matières organiques par fermentation anaérobie produisant du biogaz, un mélange essentiellement constitué de 50 à 60 % de méthane et d’une proportion de 40 à 50 % de dioxyde de carbone, ainsi que de quelques impuretés1. Réaction de base couramment utilisée dans l’industrie chimique, le plus souvent dans sa variante au monoxyde de carbone selon la formule 3 H2 + CO ==> CH4 + H2O, H=-206,4 kJ/mole, la méthanation a fait irruption en 2011 dans le débat éner- gétique français lors de la publication par l’association négaWatt de son scénario à horizon 2050, dans une nouvelle version beaucoup plus aboutie et détaillée que les précédentes datant de 2003 et 2006. Évoquée par plusieurs autres scénarios2 examinés par le « Conseil National de la Transition Énergétique » qui, de novembre 2012 à juillet 2013, a préparé le projet de loi éponyme, elle fait aujourd’hui l’objet en France d’études et de travaux de recherche, et même, depuis peu, d’appels à projets de démonstrateurs qui montrent qu’elle est désormais prise au sérieux. L’engouement soudain pour cette technologie qui peut donner l’impression d’un certain effet de mode s’explique par le fait qu’elle est apparue en premier lieu comme une solution pertinente pour résoudre l’épineuse question, restée jusqu’alors sans réponse vraiment convaincante, de l’équilibrage d’un système électrique alimenté par une part prépondérante de sources variables et non-pilotables telles que l’éolien et le photovoltaïque. On verra plus loin qu’elle a une portée systémique qui va bien au-delà du seul secteur de l’électricité, en contribuant notamment à un « bouclage » sur la mobilité, mais, pour que cette question émerge, il a d’abord fallu attendre que la crédibilité technique et économique de ces nouvelles filières de production d’électricité renouvelable, longtemps considérées comme anecdotiques et vouées à la marginalité ad vitam aeternam, soit clairement établie : c’est désormais chose faite de manière très officielle, notamment depuis que le rapport du GIEC publié en mai 2011 « Sources d’énergie renouvelables et atténuation du changement climatique »3 a confirmé que les ressources renouvelables suffisent largement à couvrir l’ensemble des besoins prévisibles de l’humanité, et depuis que la « Feuille de route pour 2050 » de la Commission européenne publiée la même année a estimé que la part des renouvelables dans le mix électrique européen de 2050 de situera entre 55 et 97 % selon les scénarios4. Mais la présence de gisements surabondants et la disponibilité avérée de technologies de production ne suffisent pas à garantir la faisabilité de scénarios de type « électricité 100 % renouvelable » : la variabilité intrinsèque de l’éolien et du photovoltaïque, qui fourniront très certainement le gros du bataillon des moyens de production mis en service dans les prochaines décennies, s’ajoute à celle, déjà bien connue, de la consommation. 10 1 - Purifié à hauteur de 95 % de méthane, le biogaz devient du biométhane compatible avec les normes appliquées à la distribution et à l’uti- lisation du « gaz naturel » qui n’est rien d’autre que du méthane d’origine fossile. 2 - Notamment ceux de l’ADEME (vision 2050) et de GrDF (facteur 4). 3 - Téléchargeable sur : http://www.rac-f.org/Rapport-special-du-GIEC-sur-les 4 - Téléchargeable sur : http://ec.europa.eu/energy/energy2020/roadmap/index_fr.htm Les cahiers de GLOBAL CHANCE - N° 36 - novembre 2014 Un modèle d’approche systémique de la transition énergétique : la méthanation Elle vient ainsi compliquer la tâche des « GRT » (gestionnaires de réseaux de transport, RTE pour la France) dont l’une des principales missions est d’assurer à tout instant l’équilibre entre l’offre et la demande – une condition non-négociable du fonctionnement du système électrique puisque basée sur une contrainte physique. Pour remplir cette mission, les GRT disposent d’ores et déjà d’un certain nombre d’outils techniques, économiques et régle- mentaires forgés au fil du temps pour augmenter la flexibilité du système électrique et répondre ainsi à des impératifs de plus en plus prégnants avec le développement rapide des usages de l’électricité et le rôle de plus en plus central que cette dernière joue dans l’organisation et le fonctionnement des sociétés modernes : modulation de la demande, optimisation de l’exploitation, renforcement si nécessaire des réseaux de distribution, développement des interconnexions pour augmenter le foisonnement, et enfin recours aux stations de pompage-turbinage (STEP) qui permettent de remplir des retenues d’eau grâce aux surplus d’électricité pour la turbiner en période de déficit. Ces outils opèrent à des échelles de temps et sur des quantités suffisantes pour assurer l’équilibre des systèmes électriques actuels, où la part des productions pilotables est très largement majoritaire, mais ils s’avèrent insuffisants à partir d’un certain seuil de productions fluctuantes et non-pilotables sur le réseau. Les pays les plus offensifs en matière d’électricité renouvelable variable comme l’Allemagne ou le Danemark ont jusqu’à pré- sent su repousser toujours plus loin les limites des taux de pénétration considérés a priori comme indépassables en exploitant au mieux ces outils. Néanmoins, les arrêts imposés de la production de fermes éoliennes en Allemagne (« curtailment ») ou l’apparition de prix négatifs sur le marché spot de l’électricité sont autant de signaux précurseurs de la nécessité de trouver dans un avenir proche d’autres solutions viables sur le long terme. Les différentes techniques classiques de stockage massif d’électricité permettant de décaler dans le temps les périodes de pro- duction et de consommation (volants d’inertie, batteries électrochimiques, air comprimé et STEP) ont fait l’objet d’importants programmes de recherche-développement et de démonstration dans la plupart des pays industrialisés : même si les questions de coût, de durée de vie, d’impact environnemental ou de ponction sur les ressources de matières premières restent à explorer pour certaines d’entre elles, on commence à avoir les idées à peu près claires sur leurs possibilités réelles et leurs limites en termes de capacité et de durée de stockage5. Si l’on prend les STEP, qui représentent le moyen de stockage de loin le plus massif aujourd’hui disponible, on constate qu’elles répondent parfaitement à des besoins qui se comptent en heures, tout au plus en jours, et en gigawatts-heures (GWh, ou millions de kWh), mais qu’elles sont inopérantes lorsque les besoins nécessaires à l’équilibrage d’un système « 100 % renouvelable » se chiffrent en semaines, voire en mois, et en Térawatts-heures (TWh ou milliards de kWh). À ces échelles de quantité et de durée, il n’y pas d’autre possibilité que de stocker l’énergie excédentaire sous la forme de molécules à plus ou moins fort contenu énergétique produites à partir d’électricité : c’est ce que permet l’électrolyse de l’eau en séparant les atomes qui la composent, hydrogène d’un côté, oxygène de l’autre. Le premier est une matière de base de l’industrie, mais il est aussi un vecteur énergétique de bonne qualité avec une densité de 33 kWh par kilogramme soit un contenu par unité de poids 3 fois supérieur à celui du gazole et 2,5 fois à celui du gaz nature. En revanche, avec un pouvoir calorifique supérieur de 3,54 kWh par Nm3, l’hydrogène est plus de 3 fois moins énergétique par unité de volume que le gaz naturel (11,04 kWh/Nm3) Quant au second, il peut facilement trouver des débouchés dans l’industrie (combustion, pétrochimie, soudure haute tempéra- ture, etc.) ou dans le domaine médical, et le cas échéant être relâché dans l’atmosphère sans inconvénient autre qu’une perte de valeur. La production d’hydrogène par électrolyse constitue la première étape commune à toutes les technologies regroupées sous le concept de « Power-to-Gas » (littéralement « gaz d’électricité »), la méthanation étant une seconde étape optionnelle dont l’intérêt doit être évalué au regard des coûts et des contraintes supplémentaires qu’elle occasionne par rapport aux avantages qu’elle procure. Le graphique ci-dessous donne une indication des plages de pertinence des différentes technologies de stockage d’électricité disponibles ou en développement. Il montre l’avantage décisif du « Power-to-Gas » pour répondre aux besoins de stockage d’un système électrique intégrant une part significative de sources variables. 5 - Voir l’étude publiée par l’ATEE, l’ADEME et la DGIS en novembre 2013 : http://www.atee.fr/région/actualites/publication-de-l’étude-sur-le-potentiel-de-stockage-d’énergies Les cahiers de GLOBAL CHANCE - N° 36 - novembre 2014 11 Les vecteurs énergétiques et la transition Figure 1 : Domaines respectifs de pertinence des différents moyens de stockage de l’électricité Intérêt et limites de l’hydrogène. L’hydrogène, dont on connaît depuis Lavoisier les propriétés fortement explosives, est aujourd’hui utilisé essentiellement dans l’industrie, notamment pour la production d’ammoniac ou de méthanol et le raffinage des produits pétroliers, à raison d’un million de tonnes par an en France (56 millions dans le monde). La quasi-totalité de cet hydrogène industriel est produit par vapo-reformage (« cracking ») de gaz naturel, c’est-à-dire de méthane d’origine fossile dont les atomes de carbones libérés par la même occasion contribuent directement à l’aggravation des bouleversements climatiques. Les usages industriels devraient donc constituer un premier débouché évident de l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau à partir de sources renouvelables, mais il faudrait pour cela que son coût de production, 3 à 4 fois plus élevé que celui issu du vaporeformage (5 à 30 €/kg d’H2 suivant le prix de l’électricité pour l’électrolyse contre 1,50 €/kg pour le vaporeformage) puisse être compensé : si la réduction des coûts que l’on peut attendre du développement industriel des différentes technologies peut y contribuer, une taxation des émissions de GES serait très certainement bien plus efficace à court terme – et elle serait bienvenue dans tous les cas. En tant que vecteur énergétique, l’hydrogène peut être utilisé principalement de trois manières différentes : • comme carburant dans des moteurs classiques à combustion interne, avec toutefois un rendement ne pouvant guère dépasser 25 %. C’est une solution qui a tenté certains constructeurs automobiles comme BMW qui, après avoir réalisé des tests dans les années 1970, a lancé en 2006 son modèle « Hydrogen 7 » - mais abandonné sa production dès 2009 ; • dans des piles à combustible produisant de la chaleur et de l’électricité, pour des usages stationnaires (co-génération avec un rendement pouvant atteindre 50 à 60 %) ou mobiles (véhicules légers et bus, appareils portables)6 ; • en injection jusqu’à une certaine proportion dans le réseau de gaz naturel. Les deux premières ont en commun d’être confrontées aux contraintes extrêmement fortes qui s’imposent au transport et à la distribution de l’hydrogène pour des raisons de sécurité (risques d’explosion) et à l’obligation d’utiliser, en raison d’une masse volumique très faible de 0,09 kg/m3, des réservoirs à haute pression (350 à 700 bars selon les applications), lourds et encombrants. Par ailleurs, les technologies de piles à combustible, malgré des débuts encourageants à l’aube des années 1970, peinent à tenir leurs promesses en termes de baisse des coûts, d’allongement de la durée de vie ou de disponibilité des matières pre- 12 6 - Voir le site de l’AFHYPAC www.afhypac.org/fr/ Les cahiers de GLOBAL CHANCE - N° 36 - novembre 2014 Un modèle d’approche systémique de la transition énergétique : la méthanation mières comme le platine7, et les perspectives de production industrielle à grande échelle semblent encore éloignées malgré les annonces. Enfin, l’hypothèse du développement de l’hydrogène comme vecteur répondant à une part significative des besoins de mobilité en substitution des produits pétroliers poserait d’emblée, compte tenu des quantités en jeu, la question des sources primaires utilisées pour la production de ce gaz qui n’existe pratiquement pas à l’état naturel dans l’environnement terrestre8. En effet, les excédents d’électricité renouvelable n’apparaîtront pas de manière massive avant 2025, même en Allemagne où la dynamique de développement des renouvelables variables est la plus forte, et les quantités produites ne seront en tout état de cause jamais à la hauteur des besoins. Même le scénario négaWatt, pourtant très ambitieux sur la réduction de la consommation d’énergie pour la mobilité (225 TWh en 2050 contre 625 en 2010) et sur la production d’hydrogène à partir des excédents disponibles d’électricité renouvelable (72 TWh), ne permet pas d’envisager une substitution significative de l’hydrogène aux produits pétroliers sans recours au vapore- formage de gaz naturel fossile, ce qui ne résout rien en matière de bouleversements climatiques. Quant à miser sur une technique aussi incertaine et éthiquement critiquable que la séquestration du carbone comme le fait par exemple l’IFP-Énergies Nouvelles9, cela apparaît clairement incompatible avec la perspective d’une transition énergétique « soutenable » - en plus d’être hors de prix : qui peut en effet garantir que l’homme est capable de réaliser en quelques décennies à peine ce que la Nature a mis des centaines de millions d’années à faire pour piéger les atomes de carbone dans le sous-sol de la terre ? Et qui est en mesure de couvrir sur des milliers voire des millions d’années le risque que représenterait le retour de ces atomes dans l’atmosphère pour une raison quelconque ? Dans ces conditions, un basculement vers la « société de l’hydrogène » à laquelle certains veulent croire semble très peu pro- bable voire pas souhaitable, et poserait en tout état de cause de redoutables défis techniques, environnementaux, économiques et organisationnels dont les coûts seraient exorbitants, par exemple pour modifier de fond en comble des pans entiers de l’industrie automobile ou pour construire ex nihilo des réseaux de distribution d’hydrogène sécurisés et accessibles au plus grand nombre. Une telle évolution vers la généralisation de l’hydrogène dans les usages finaux serait d’autant plus incongrue que d’autres débouchés bien plus économes en moyens et beaucoup plus propices à un changement graduel de paradigme énergétique sont d’ores et déjà disponibles, d’abord à travers l’injection d’hydrogène dans le réseau de gaz, puis, dans un deuxième temps et de manière complémentaire, par le développement de la méthanation. Atouts et contraintes de la méthanation Le premier grand avantage de la transformation de l’hydrogène en méthane synthétique via la méthanation est de pouvoir s’affranchir des limitations en volume à l’injection dans les réseaux gaziers. Il existe aujourd’hui dans chaque pays un plafond d’injection d’hydrogène qui figure dans les prescriptions des opérateurs. Celui adopté pour la France (6 % en volume) correspond à la tolérance maximale découlant de la très petite taille des atomes d’hydrogène qui peuvent très facilement s’échapper des cavités salines servant de réservoirs de stockage. Il ressort des études récentes10 qu’un seuil maximal de 20 % en volume serait envisageable dans les réseaux de distribution et jusqu’à 50 % dans les réseaux de transport, mais la tolérance beaucoup plus faible de certains appareils de consommation comme les moteurs ou les turbines – autour de 2 % actuellement, pouvant être portée à 5 % – constitue un facteur limitant qui rend impossible en pratique d’atteindre une telle concentration en moyenne. Le projet GRHYD piloté actuellement par GDF-Suez dans le Nord-Pas-de-Calais dans le cadre des investissements d’avenir11 doit permettre de préciser le seuil acceptable, mais cette contrainte plaide pour le passage à terme au méthane, une option qui donne ipso facto accès en toute sécurité et à coût marginal aux énormes capacités des infrastructures de stockage souterrain dont les réseaux gaziers sont obligés de disposer en raison des impératifs de sécurité d’approvisionnement. Les 130 TWh de capacité de stockage des infrastructures françaises, soit l’équivalent de 3 mois de la consommation actuelle de gaz naturel, sont à comparer aux 0,4 TWh de capacité totale des STEP et à mettre en regard des 46 TWh de gaz issu de méthanation prévus dans le scénario négaWatt, qui prévoit une production totale de 300 TWh par an de méthane renouvelable 7 - Il existerait selon l’ONG SOS-Planète 13 000 tonnes de gisements exploitables, qui seront épuisés en 2064 au rythme actuel de consomma- tion, bien plus rapidement si la demande augmente. 8 - Plusieurs gisements naturels d’H2 pur ont été découverts depuis les années 1970, tout d’abord sur les dorsales au fond des océans, et plus récemment sur terre et de manière plus diffuse, mais aucun projet d’exploitation n’a encore vu le jour. (IFPEN, 2013). 9 - http://www.ifpenergiesnouvelles.fr/Espace-Decouverte/Les-cles-pour-comprendre/Les-sources-d-energie/L-hydrogene 10 - Étude « Entwicklung von modularen Konzepten zur Erzeugung, Speicherung und Einspeisung von Wasserstoff und Methan ins Erd- gasnetz”, Müller-Syring et al., DVGW, 2013 – non-traduite. 11 - http://www.developpement-durable.gouv.fr/Transformer-en-hydrogene-l, 30305.html Les cahiers de GLOBAL CHANCE - N° 36 - novembre 2014 13 Les vecteurs énergétiques et la transition auxquels s’ajoute une consommation résiduelle de 40 TWh de gaz naturel contre 500 actuellement, soit une réduction de près de 50 % de la consommation finale de gaz par rapport à aujourd’hui. Figure 2 : Comparaison des capacités de stockage respectives d’électricité, de gaz et de produits pétroliers en 2012 en France (source E&E consultants) À cet avantage d’une capacité inégalable de stockage déjà existante dans la plupart des pays industriels s’ajoute le maillage très conséquent du territoire par les réseaux de transport et de distribution de gaz, notamment en France où plus de 80 % des habitants se trouvent dans une zone de desserte. Cette capillarité est aujourd’hui un atout majeur pour acheminer le gaz vers les consommateurs, elle le sera tout autant demain pour collecter le méthane renouvelable, dont la majeure partie sera produite par méthanisation et gazéification de biomasse (respectivement 157 et 98 TWh en 2050 dans le scénario négaWatt). Le méthane offre en outre une bien plus grande flexibilité d’usage que l’hydrogène en matière de chaleur (chauffage des locaux et de l’eau chaude sanitaire, cuisson, chaleur industrielle, etc.), de mobilité (VL et PL), et si besoin de production d’électricité (centrales à cycle combiné et/ou cogénération). Enfin, les appareils et véhicules adaptés à tous ces usages sont disponibles depuis déjà longtemps sur le marché à prix com- pétitif et à échelle industrielle, ce qui permet de faire l’économie de bouleversements coûteux et incertains dans l’industrie manufacturière de production des biens d’équipements. La méthanation, clé de voûte de la transition énergétique ? On voit bien à la lecture de tout ce qui précède que la méthanation va bien au-delà d’un simple moyen de stockage de l’élec- tricité, usage pour lequel elle présente d’ailleurs un bilan médiocre, non pas tant à cause du rendement global des différentes étapes entre électricité et méthane qui dépasse déjà aujourd’hui 60 % hors récupération de chaleur pour les filières les plus performantes et pourrait atteindre 70 % dès 2030 lorsque son déploiement à grande échelle commencera à être effectif, mais parce que le retour à l’électricité via une turbine ou un moteur à gaz serait soumis aux lois de la thermodynamique et ramènerait ce rendement à un maximum de 40 %, voire moins si l’on tient compte de l’ensemble de la chaîne. Figure 3 : Rendement énergétique de la méthanation catalytique (source Etogas/ZSW) C’est la forme gazeuse de l’hydrogène et du méthane qui leur confère, grâce à une flexibilité et une facilité d’usage sans commune mesure, un avantage décisif par rapport aux autres techniques de stockage de l’électricité. Toutefois, avec un contenu énergétique trois fois supérieur à celui de l’hydrogène gazeux pour un même volume et une même pression, le méthane s’avère être, d’un point de vue pratique autant qu’économique, le vecteur dont les qualités se rapprochent 14 Les cahiers de GLOBAL CHANCE - N° 36 - novembre 2014 Un modèle d’approche systémique de la transition énergétique : la méthanation le plus de celles qui ont fait le succès des produits pétroliers, à travers par exemple la taille et le poids réduits des réservoirs des véhicules. De fait, la méthanation ne prend tout son sens qu’en s’inscrivant dans une logique systémique faisant une large place au vecteur « gaz renouvelable », tout particulièrement en substitution des produits pétroliers dans les transports pour laquelle il se présente comme un successeur de choix de nos carburants liquides actuels, notamment pour les trajets interurbains et les transports routiers qui resteront en grande partie incontournables malgré tous les efforts de transfert modal et d’optimisation que l’on peut imaginer. Cette réhabilitation du méthane comme vecteur essentiel de la transition énergétique ne doit évidemment pas faire l’impasse sur les risques qu’il peut faire courir en matière de changements climatiques compte tenu de son « pouvoir de réchauffement global » (PRG), largement sous-estimé dans la comptabilité actuelle des GES au niveau international12 : son utilisation, y com- pris dans ses versions renouvelables, doit impérativement se faire dans les meilleures conditions techniques, notamment pour limiter les possibilités de fuite tout au long de la chaîne qui va de la production à la consommation finale. Le rééquilibrage entre vecteurs énergétiques (électricité, gaz, chaleur) dans une logique de complémentarité et non de concur- rence comme c’est le cas actuellement est caractéristique des scénarios à des horizons de temps de moyen terme (2050) qui font l’effort de prendre en compte non seulement l’ensemble des usages de l’énergie, mais aussi l’ensemble des problématiques en termes de ressources primaires, d’impacts environnementaux et de capacité des organisations humaines à s’adapter au nécessaire changement de paradigme. En ce sens, la méthanation, en contribuant à sa hauteur et en son temps au processus de remplacement progressif dans les infras- tructures gazières des molécules de méthane fossile par du méthane renouvelable incarne de manière frappante et éloquente la notion même de « transition énergétique ». Loin de nécessiter une quelconque « rupture » dont l’attente impatiente tourne bien souvent à l’incantation tout en justifiant l’allocation de crédits de recherche parfois pharamineux à des projets prestigieux sans aucune certitude de succès, la métha- nation exploite au contraire des technologies existantes et « sans regret » pour créer le lien à la fois spatial et temporel entre ressources, vecteurs et usages énergétiques qui fait cruellement défaut aujourd’hui. 15 Figure 4 : Schéma de principe général du positionnement de la méthanation dans le système énergétique (source négaWatt) 12 - Voir l’article de Benjamin Dessus et Bernard Laponche http://www.global-chance.org/effet-de-serre-n-oublions-pas-le-methane. Les cahiers de GLOBAL CHANCE - N° 36 - novembre 2014 Les vecteurs énergétiques et la transition Étapes à franchir et défis à relever Mais ce n’est pas pour autant que la méthanation pourrait se développer immédiatement à l’échelle industrielle qui sera néces- saire à terme : si chacune des « briques technologiques » qui la composent est d’ores et déjà connue et maîtrisée à un niveau suffisant pour garantir la faisabilité et la crédibilité de cette option, la plupart nécessitent des adaptations et des optimisations qui doivent faire l’objet de travaux de développement et de démonstration, voire de recherche sur quelques aspects. En ce qui concerne l’électrolyse, trois filières sont aujourd’hui sur les rangs : alcaline, PEM et SOEC13. Chacune dispose d’atouts et de handicaps en termes de maturité, de flexibilité, de rendement, de domaine de pertinence ou de coût, mais il est impossible de dire aujourd’hui si l’une d’elle prendra définitivement le pas sur les autres ni laquelle, ou si au contraire elles pourront cohabiter durablement. De même il existe deux voies possibles de méthanation : • La voie « catalytique », la plus classique, utilise un élément catalyseur pour déclencher la réaction entre l’hydrogène et le dioxyde de carbone, généralement du nickel. Exothermique, elle dégage une quantité relativement importante de chaleur à haute température (200 à 300 °C) valorisable pour des usages industriels, ce qui est un atout économique et fonctionne déjà dans des démonstrateurs de taille industrielle, notamment en Allemagne avec par exemple l’installation de 6 MW de puissance d’électrolyse développée par Audi en collaboration avec Etogas, le pionnier de la méthanation basé à Stuttgart, qui permet d’alimenter une flotte de 1 200 Audi A3 roulant 20 000 km/an. • La voie « biologique » dans laquelle la réaction de méthanation est entretenue par des microorganismes spécifiques, dégage la même quantité de chaleur mais à basse température (35 à 65 °C), donc moins facilement valorisable. Aujourd’hui à un stade d’expérimentation notamment dans un centre de recherche dépendant du ministère danois de l’agriculture, elle a été initialement développée pour convertir directement le CO2 contenu dans le biogaz et s’affranchir ainsi des étapes de purifica- tion de ce dernier. Très prometteuse puisqu’elle devrait a priori permettre de réduire les coûts en mutualisant une partie des process et en créant ainsi une véritable synergie entre méthanisation et méthanation, elle doit toutefois encore franchir un certain nombre d’étapes pour faire la preuve de sa viabilité technique et économique. La question des différentes sources de CO2 et de leur pertinence respective est elle aussi encore largement ouverte. On en distingue trois catégories principales : captage dans l’air, transformation de matières organiques (dont la méthanisation et la gazéification de biomasse) et industrie (dont la combustion pour la production de chaleur14 et les procédés). Plusieurs technologies sont disponibles pour chacune de ces sources, avec des avantages et inconvénients et des degrés de maturité très différents, mais la valorisation du « CO2 organique » qui se caractérise par une véritable synergie avec les autres filières de production de méthane renouvelable est particulièrement séduisante. Dans tous les cas, la nature, la quantité et la disponibilité de sources de CO2 seront, des paramètres déterminants de la locali- sation, de la taille et du mode d’exploitation des unités de méthanation, après toutefois la capacité locale d’injection dans le réseau qui dépend notamment de la consommation de gaz en été – un facteur aujourd’hui limitant du fait que le gaz naturel est principalement destiné au chauffage des bâtiments mais qui pourrait l’être de moins en moins si l’usage mobilité du méthane se développe. D’autres questions encore plus spécifiques comme les niveaux de pression de fonctionnement et d’injection, le besoin de stockage-tampon ou le mode de valorisation de la chaleur et de l’oxygène sont également à prendre en compte pour établir les bilans globaux, énergétiques, environnementaux et économiques des nombreuses solutions offertes par la combinatoire des options multiples de chaque brique. Les réponses éventuellement diverses à toutes ces problématiques conditionneront les performances intrinsèques de la méthana- tion en tant que procédé industriel et influeront bien entendu sur les coûts et la compétitivité des différentes solutions possibles. L’état de l’art actuel et les projections réalistes à des horizons de temps pertinents laissent penser que la viabilité économique du Power-to-Gas à moyen terme n’est pas hors de portée. Le coût actuel de production de l’hydrogène, environ 100 €/MWh, se situe d’ores et déjà dans la fourchette de celui du biogaz (45 à 125 €/MWh) tout en étant trois plus élevé que le prix de gros du gaz naturel fossile. Estimé par l’AIE à 34 €/MWh en 2030, l’hydrogène resterait encore à cet horizon deux fois plus coûteux que le gaz naturel contre trois à quatre fois pour le méthane de synthèse, en fonction notamment de la valorisation des coproduits. Ce surcoût par rapport au gaz naturel devrait se réduire en 2050 à 70 % pour l’hydrogène, celui du méthane se situant autour d’un facteur 2,5 à 3. 16 13 - Respectivement « Proton Exchange Membrane » et « Solid Oxide Electrolyser Cells » : il s’agit de technologies dérivées des piles à com- bustible. 14 - Les centrales thermiques électriques même en cogénération sont exclues a priori puisqu’il serait absurde de les faire fonctionner en période d’excédents de production d’électricité renouvelable. Les cahiers de GLOBAL CHANCE - N° 36 - novembre 2014 Un modèle d’approche systémique de la transition énergétique : la méthanation Dans ces conditions, le niveau de la taxe carbone de 90 €/tonne de CO2 retenu par l’AIE dans son scénario « 450 ppm » suffirait à compenser le surcoût de l’hydrogène, le méthane nécessitant une taxe de 220 à 330 € pour le même résultat. Ainsi, au-delà des coûts directs de production, c’est le modèle économique sous-jacent qui déterminera le rôle que la métha- nation sera amenée à jouer à l’avenir, avec comme éléments déterminants le prix et les conditions auxquels les excédents d’électricité seront accessibles ainsi que le mode de valorisation de l’hydrogène et/ou du méthane produits, mais aussi la fiscalité hors-carbone qui lui sera appliquée. Poser la question du modèle futur de rémunération de la méthanation conduit donc inéluctablement à poser celle de son statut vis-à-vis des systèmes électrique et gazier, avec comme interrogation centrale son appartenance à l’un ou à l’autre des deux grandes sphères qui les composent : le secteur marchand et le secteur régulé. En clair : la méthanation s’inscrit-elle, dans une pure logique de marché, en compétition avec d’autres débouchés possibles des excédents d’électricité renouvelable, et est-elle dans ce cas capable de trouver un modèle économique suffisamment robuste pour se développer et se pérenniser ? Ou bien fait-elle intrinsèquement partie des moyens d’équilibrage qui doivent, pour des raisons de sécurité et de sûreté, rester sous le contrôle permanent de la collectivité via les gestionnaires des biens communs que sont les réseaux de transport et de distribution d’énergie, même si la construction et l’exploitation des équipements peuvent être confiées à des opérateurs privés ? La réponse semble évidente dès lors que la méthanation s’inscrit dans une vision de long terme d’une transition énergétique soutenable dont elle constitue l’une des clés : les services qu’elle peut rendre à une authentique transition énergétique soutenable méritent d’être payés à leur juste valeur dans le cadre d’un nouveau type de régulation du marché cohérente avec les objectifs. Dans un contexte de désorganisation totale des marchés de l’énergie qui conduit aux aberrations que nous connaissons actuelle- ment, la nécessité de son avènement ne fait ainsi que renforcer la nécessité d’une profonde réorganisation de ces derniers autour d’une redéfinition des secteurs marchands et régulés et des modes de régulations qui vont avec15. Ouvrir sereinement le débat pour bien préparer l’avenir En conclusion, la méthanation apparaît clairement comme une solution particulièrement intéressante pour répondre aux besoins
15 - Voir à ce sujet l’excellent article « Le marché électrique européen face à la transition énergétique : apprendre du présent pour mieux pré-parer l’avenir » d’Andreas Rüdinger dans le n° 35 des Cahiers de Global Chance consacré au questions et débats d’équilibrage d’un système électrique dominé par les sources renouvelables variables, mais elle n’a de sens que si elle s’inscrit dans une logique systémique d’évolution de l’ensemble de notre système énergétique vers des solutions soutenables et d’opti- misation de l’usage des différents vecteurs dans leurs domaines respectifs de pertinence. Les nombreuses options disponibles au sein de chacune des briques technologiques qui composent la filière, ainsi que les différentes combinaisons entre ces briques, laissent encore largement ouvert le champ des possibles. Ce sont les résultats du foisonnement actuel de travaux de R&D et de démonstration qui permettront de resserrer cet éventail et de faire les choix les plus pertinents pour que le déploiement à grande échelle de la méthanation se fasse dans les meilleures conditions lorsque cela deviendra un besoin opérationnel, d’ici une dizaine ou une quinzaine d’années. Si l’on veut que les opérateurs industriels soient au rendez-vous avec les meilleures solutions d’un point de vue technique et économique, il est bien sûr nécessaire de stimuler leurs efforts de développement à travers des appels à projets comme l’Union européenne et l’ADEME ont commencé à le faire. Mais il est essentiel de leur donner dans un avenir aussi proche que possible un minimum de visibilité quant à l’intégration future de l’hydrogène et de la méthanation dans un système énergétique soutenable fondé sur un rééquilibrage intelligent du rôle et de la place des différents vecteurs. Tous les éléments d’un débat rationnel et dépassionné sont aujourd’hui sur la table, y compris une évaluation relativement précise des marges d’incertitudes qui peuvent subsister. Hormis le tabou d’une réduction réelle de la part du nucléaire dans le mix électrique au profit des énergies renouvelables et la résistance des tenants du statu quo, on voit mal ce qui pourrait s’opposer à ce que ce débat s’ouvre rapidement dans la plus grande transparence, notamment au sein des instances officielles chargées d’éclairer et de conseiller les décideurs politiques. Date de création : 30/05/2014 @ 11:55 QUOI DE NEUF SUR CE SITE, depuis ma dernière visite
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- Martine en voyage (1954) - Martine et Paul construisent un transformateur de 10 hectares (Edition mai 2010) Martine Debiez était la directrice du projet de RTE(sa) . Depuis elle a vogué vers d'autres projets. Et c'est un Monsieur Perrin qui l'a remplacé, puis un monsieur Thibaud Chatry. Paul Boulvrais était le sous Préfet en poste à Millau au début de cette vilaine histoire. D'autres acteurs (élus) ne sont pas dans les "Aventures de ...) et l'on peut le regretter. ![]() - du privé : RTE-sa s'y emploie, mais a un gros vernis "public". Derrière ce "gestionnaire" il y a des instalateurs de "ventilateurs"(éoliennes industrielles imposées et pour l' " évacution") - du public (RTE-sa en tant qu'ayant (entre autres) une "mission" de service public; et les services de l'Etat, en commençant par préfecture, sous préfecture, puis des services sympas comme la DREAL (le "E", c'est pour "environnement") - des "chambres" consulaires: celle d'Agriculture, par exemple - Et, ... des élus Là, alors, c'est bien parti. Il faut mettre les choses (élus, chambres, privé, public) dans le bon ordre et surtout, surtout se débrouiller à ne pas avoir à faire avec les citoyens. C'est du grand art. ![]() SPECIAL ST VICTOR et MELVIEU
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